Simple et Pratique

« La simplicité volontaire, ou comment vivre simplement, pour que simplement d’autres puissent vivre. »
Intervention dans l’émission de Radio Bruaysis, « Sale temps sur la planète », le mercredi 21 décembre 2005. Stéphane Charlier

texte trouvé sur: http://viesimple.canalblog.com/

Les impasses de notre mode de vie

Pour le caractériser, je vais faire appel à la notion d’empreinte écologique. L’empreinte écologique représente la superficie nécessaire pour produire les consommations d’un individu, produire l’énergie qu’il consomme, et absorber ses déchets. Elle s’exprime donc en hectares par habitant : plus je consomme, plus il faut mettre en valeur une grande superficie rien que pour moi, et donc au plus mon passage sur Terre laissera une trace dans la nature. L’empreinte écologique d’un français moyen est de 5,2 hectares. Un Américain du Nord a besoin de près de 10 hectares. Mais le plus intéressant, vous vous en doutez, est de comparer ces chiffres avec les capacités de la planète. Or, selon l’association W.W.F., les capacités de la Terre sont d’à peu près 1,9 hectares par individu. Alors, me direz-vous, comment pouvons-nous nous permettre de demander plus que la planète ne peut endurer ? Cela est rendu possible car près de 4 milliards d’individus sont en dessous de ces 1,9 hectares (Asie, Afrique, Océanie) ! Ainsi les habitants du Mozambique utilisent 0,5 hectares. Imaginez un gâteau pour dix personnes : vous le divisez donc en dix parts. Mais deux personnes prennent chacune 4 parts et il n’en reste plus que 2 pour les 8 autres invités : nous faisons pareil à l’échelle de la planète ! 3 points très clairs ressortent donc de ces chiffres :

- notre mode de vie est égoïste car nous consommons ce qui pourrait revenir à d’autres : (mais comme dirait Georges Bush, notre mode de vie « n’est pas négociable ») ;
- notre mode de vie est destructeur sur le plan écologique (puisque nous allons au-delà des capacités de la planète) ;
- notre mode de vie ne pourra pas être étendu au reste de l’humanité : si tout le monde devait vivre comme nous Français, nous aurions besoin des ressources de 3 planètes comme la Terre ! Et donc, si l’on comprend l’expression « développement » comme une diffusion de notre mode de vie occidental (et c’est bien ce dont il s’agit d’ailleurs), alors le développement des pays du Sud est parfaitement impossible.

Autre caractéristique de notre mode de vie : il ne prend pas en compte la question des conditions de vie de nos enfants et petits-enfants, il est donc doublement égoïste. Chaque hectare de forêt qui n’est pas remplacé viendra à manquer, les espèces qui disparaissent emportent avec elles des possibilités potentielles de traitements médicaux (indépendamment de ces possibilités de traitement, toute disparition d’espèce est en soi regrettable), les ressources en eau épuisées et/ou polluées mettront longtemps à se reconstituer, nous leur laissons gentillement le soin de gérer la question du réchauffement climatique et des déchets nucléaires pour ne pas avoir à remettre en cause notre petit confort actuel, nous épuisons allègrement les réserves de pétrole, et l’ensemble des minerais disponibles. Déjà en 1979 l'économiste N. Georgescu-Roegen affirmait : « chaque fois que nous produisons une voiture, nous le faisons au prix d'une baisse du nombre de vies à venir. » Pour résumer nos enfants seront plus nombreux à se partager des ressources plus rares sur une planète plus polluée.

Le plus incroyable c’est que ce mode de vie auquel nous nous accrochons ne nous rend pas vraiment heureux ! Comment se fait-il en effet que les Maliens, qui ont 100 fois moins que nous (avec un P.N.B. de 240 $/hab contre 24000 en France en 2000), sont-ils dix fois plus souriants et plus accueillants ? Voici un petit texte qui circule sur internet, et qui à mon humble avis résume très bien le malaise qui traverse la société dite moderne (texte trouvé sur le site des Amis de la Terre – Belgique) :

« De nos jours, nous avons des édifices plus élevés et des autoroutes plus larges, mais notre niveau de tolérance est plus bas et notre esprit plus étroit. Nous dépensons davantage, mais nous nous amusons moins. Nous avons de plus grandes maisons, mais de plus petites familles. Nous avons plus de compromis, mais moins de temps. Nous avons plus de connaissances, mais moins de jugement, plus de médicaments mais moins de santé. Nous avons multiplié nos possessions, mais réduit nos valeurs. Nous avons conquis l’espace intersidéral, mais pas notre espace intérieur. Nous avons des revenus plus élevés, mais le moral au plus bas. Nous vivons à une époque où il y a plus de liberté, mais moins de joie, où il faut deux salaires pour chaque foyer, mais où les divorces augmentent. »

Et au-delà de ces éléments plus ou moins subjectifs, il faut rappeler que nous contractons de multiples maladies dites « de civilisation » c'est-à-dire liées à notre mode de vie, en particulier les cancers et les maladies cardio-vasculaires (voir à ce propos l’Appel de Paris nous mettant en garde sur toutes les conséquences liées à la pollution chimique).

Si notre mode de vie détruit l’environnement, accentue les inégalités, remet en cause les conditions de vie des générations futures, nous rend physiquement et mentalement malades, et ne nous rend pas plus heureux, alors il est temps de changer ! Contrairement à ce qu’affirmait George Bush, non seulement notre mode de vie est négociable, mais nous avons tout intérêt à le négocier. Mais comment faire, et par quoi commencer, car la tâche semble tellement immense. Je voudrais donc vous parler d’une modeste solution, mais une solution accessible à tout le monde, une solution vieille comme le monde : la simplicité volontaire.

Qu’est-ce que la simplicité volontaire, et d’où vient-elle ?

La simplicité volontaire est un cheminement qui consiste à se débarasser de ce qui relève du superflu dans notre vie, à vivre mieux avec moins, à se libérer au maximum des contraintes matérielles et financières pour enrichir sa vie sur d’autres plans, à sortir de la spirale de la surconsommation, et surtout à vivre selon ses propres aspirations. La simplicité volontaire privilégie la qualité plutôt que la quantité, l’être plutôt que l’avoir, le partage et l’entr’aide plutôt que le chacun pour soi, la coopération plutôt que la compétition, la jouissance de ce que l’on a plutôt que l’envie de ce que les autres ont (et qui ne les rend pas plus heureux !), l’amélioration de ce que l’on trouve autour de soi plutôt qu’une fuite perpétuelle vers un ailleurs, la lenteur plutôt que l’agitation, la créativité et la participation plutôt que la passivité et la consommation. Il s’agit donc, à bien des égards, d’une rupture salvatrice avec le conformisme ambiant.

Le terme apparaît sans doute pour la 1ère fois en 1936 quand un adepte de Gandhi, Richard Gregg, rédige un article à son propos. Gandhi nous disait : « il nous faut vivre simplement, pour que, simplement, d’autres puissent vivre ». Pour lui la simplicité volontaire c’est donc d’abord le choix d’une certaine frugalité répondant au nécessaire partage des ressources, forcément limitées, de notre planète. Mais l’idée de simplicité est bien plus ancienne.

- Socrate affirmait ainsi que sa pauvreté vestimentaire l'avait aidé à jouir d'une totale liberté et d'une richesse incomparable à celle des plus riches. Et sur le temples de Delphes on pouvait lire : « Rien en excès ».

- Pour Epicure, contrairement à l’idée que l’on s’en fait aujourd’hui, le bonheur se trouve dans les choses simples de la vie, comme les repas et les amis. Le désir de richesse ou de prestige est le fruit du conditionnement social et sont à éviter parce qu'ils nous procurent souvent plus de mal que de bien.

- La légende raconte que Diogène le Cynique, à la vue d’un enfant buvant dans ses mains, aurait brisé son écuelle, considérant qu’il possédait encore trop, alors qu’il avait déjà fait le choix du dénuement.

- Le message de pauvreté de Jésus peut être interprété comme un appel à la simplicité volontaire, tandis que la pratique du Sabbat chez les Juifs peut être compris comme une rupture avec le volonté d’avoir plus, et le choix d’être, tout simplement (Erich Fromm).

- Il existe, en persan et en arabe, le mot qana'at qui signifie « contentement de ce qu'on a et de ce qui est perçu comme la part de chacun dans l'ordre cosmique ».

- Benjamin Franklin, l’un des pères de la Constitution des Etats-Unis affirma ceci : « L’argent n’a jamais rendu un homme heureux ni ne le fera jamais. Il n’y a rien dans la nature de l’argent qui puisse produire le bonheur. Plus un homme en a et plus il en veut. Au lieu de remplir le vide, il en crée davantage. »

- Chez les Amérindiens, un chef micmac affirma : « Aussi misérables que nous puissions paraître à vos yeux [de Blancs], nous nous considérons beaucoup plus heureux que vous puisque nous sommes très contents du peu que nous avons. »

- En 1856, le gouvernement américain veut racheter des terres dans la région actuelle de Seattle. Le chef indien Ours Debout, chef de la tribu Duwamish, répondit notamment ceci : « Mais comment pouvez-vous acheter ou vendre le ciel, ou la chaleur de la terre ? Cette idée est étrange à nos yeux. Nous ne sommes pas propriétaires de la fraîcheur de l’air et du scintillement de l'eau. Comment pouvez-vous nous les acheter ? […] Dans les villes, le bruit semble uniquement destiné à blesser les oreilles. Quel sens a la vie d'un homme s'il ne peut entendre le cri solitaire de la chouette ou le bavardage des grenouilles au bord de l’étang ? Je ne suis qu’un homme rouge, sauvage et stupide et je ne comprends pas. »

- Lorsque, un peu plus tard, le poète et philosophe Henry David Thoreau part vivre dans les bois, il pratique à sa manière la simplicité volontaire : « Simplifiez, simplifiez, simplifiez. À quoi sert l’immense gaspillage d’énergie que déploient les hommes pour conquérir le confort ? En sont-ils plus heureux ? Ne mènent-ils pas plutôt une vie de morne désespoir ? »

Et cette frugalité choisie, parce qu’elle est libératrice, et parce qu’elle rend plus heureux, est en train d’être adoptée par un nombre grandissant d’individus écoeurés par la société de consommation, et par la perpétuelle frustration nécessaire à son fonctionnement. En 1981, la notion de simplicité volontaire est popularisée aux Etats-Unis par Duane Elgin dans son livre intitulé Simplicité volontaire. En 1985, Serge Mongeau, un auteur québecois, rédige un 1er ouvrage sur la question : La simplicité volontaire, plus que jamais. Quelques années plus tard, en 2000, apparaît le Réseau Québécois pour la Simplicité Volontaire.

Serge Mongeau nous y explique qu’il y a 5 grandes raisons qui poussent des gens sur cette voie de la simplicité :

« - parce que leur situation financière n’a plus de sens, qu’ils n’arrivent pas à rejoindre les deux bouts ;
- parce qu’ils voient leur vie passer en coup de vent, n’ayant pas de temps pour en prendre conscience, pour la vivre vraiment et pour faire ce qui pourrait réellement lui donner un sens
- parce qu’ils se préoccupent de l’environnement et qu’ils prennent conscience du gaspillage qu’entraîne notre style de société ;
- parce qu’ils sentent le vide de leur vie meublée par la consommation, mais qui ne laisse pas de place au développement de leur spiritualité ;
- parce qu’ils prennent conscience des inouïes disparités qui caractérisent ce monde dans lequel nous crevons à cause de notre surconsommation alors qu’ailleurs on manque de l’essentiel. »

Alors si vous vous sentez concerné par une ou plusieurs de ces situations, je vous invite à découvrir les « richesses » de la simplicité volontaire.

Concrètement cela consiste en quoi dans la vie de tous les jours ?

Dans simplicité volontaire, vous aurez remarqué, il y a « volontaire ». Cela ne veut pas dire qu’il faut fournir des efforts immenses pour y arriver. Le terme « volontaire » veut dire en fait que vous décidez de vivre selon votre volonté. Autrement dit, il faut que vous parveniez à définir clairement ce que vous voulez faire de votre vie. Il s’agit donc de reprendre le contrôle de son existence plutôt que de suivre le courant sans savoir s’il nous emmène là où nous désirons vraiment nous rendre. Sur internet j’ai trouvé cette simple définition de la simplicité volontaire : « se concentrer sur l’essentiel et débrancher le pilotage automatique ». La même personne un peu plus loin pose cette question : « Etes vous sûr d'avoir des comportements et des achats choisis, réfléchis, ceux qui poursuivent l'objectif de votre bonheur, de votre éthique, de vos aspirations et de vos valeurs ? »

Quand vous avez identifié votre but, vos valeurs, vos priorités, votre propre définition de la « réussite », vous parvenez alors plus facilement à repérer ce qui est important pour vous, et donc ce qui ne l’est pas, de sorte que vous pouvez opérer un tri dans vos possessions, vos activités et donc dans vos relations. Pour mieux en conforter d’autres bien sûr.

La simplicité volontaire consiste ensuite à se désencombrer sur le plan matériel. En effet, les objets qui s’accumulent dans nos habitations, et tout autour de nous, ne font qu’accaparer notre temps, notre énergie, notre attention et bien sûr notre argent. Dans son ouvrage intitulé La convivialité, Ivan Illich nous dit fort à propos : « La surabondance de biens mène à la rareté de temps. Le temps se raréfie parce qu’il faut le temps de consommer […] Plus [le consommateur] est haut perché dans la pyramide de la production, et moins il a le temps de s’abandonner aux activités qu’on ne saurait comptabiliser. » En vous désencombrant vous allez donc améliorer votre situation financière, gagner du temps libre (vous pourrez par exemple travailler moins), accorder plus d’attention à vos proches, et surtout vous aurez les idées plus claires, l’esprit plus léger. La simplicité volontaire c’est donc le choix, en conscience, d’une frugalité heureuse.

Cela sous-entend également que l’on évite de se ré-encombrer, en jaugeant de façon lucide la nécessité de chaque achat. Voici quelques questions que l’on peut se poser avant chaque achat (sans non plus camper dans le magasin !) :

1. En ai-je vraiment besoin ? Comme nous achetons aussi pour nous faire plaisir
2. Cet achat me donnera-t-il un plaisir suffisant pour justifier les heures de travail nécessaires afin de payer l’objet ou le service en question ? Et comme un plaisir est toujours éphémère, pour le grand bonheur des industriels, 3e question :
3. Vais-je utiliser de façon durable cet objet ou répond-il à une envie passagère ? Dépassons un peu la vision strictement individuelle et posons-nous la question des implications globales de nos consommations.
4. Quel est le véritable coût de l’objet (matières premières, transports, déchets, risques sanitaires, publicité, main d’œuvre exploitée ou non, etc) ? Remettons également l’objet ou le service en perspective par rapport à nos priorités.
5. La consommation de ce bien, ou de ce service, me rapproche-t-elle de mes objectifs ? Ou, au contraire, m’en éloigne-t-elle ?
6. Cet achat ne tente-t-il pas de répondre à un problème que je pourrais résoudre autrement ? (Beaucoup de consommations sont en réalité des consolations.)

Mais attention, il ne s’agit pas d’ascétisme, ou de privation. Il s’agit de relativiser la dimension économique de l’individu, en tant que producteur-consommateur, au profit de toutes les autres dimensions de la vie. L’économiste Paul Ekins, professeur à l’Université de Westminster nous dit ainsi : « De manière résumée, les besoins […] de l’être humain sont la sécurité matérielle, la reconnaissance sociale et l’épanouissement personnel en fonction de certains idéaux (amour, justice, esthétique). Dans une telle perspective, consommer toujours plus perd toute signification une fois que l’on a atteint un niveau de vie suffisant et rend impossible la réalisation des plus hautes virtualités de l’être humain. »

Enfin la simplicité volontaire c’est retrouver de l’autonomie. En effet, nous sommes devenus bien incapables de produire nos aliments, de construire nos maisons, de nous déplacer autrement qu’avec des machines, de fabriquer nos vêtements, de nous soigner par nous-mêmes en ce qui concerne des pathologies bégnines, d’organiser nos propres fêtes, d’aider les membres de notre famille ou de réparer les objets que nous utilisons quotidiennement. Tout est fait pour que nous ayons toujours recours à un service marchand et à des experts. Même pour rencontrer l’âme sœur nous comptons aujourd’hui sur des services marchands ! Hé bien la simplicité volontaire vise à retrouver des espaces d’autonomie en développant ses savoirs-faire, et en reprenant confiance en soi.

Dans le Guide alternatif du Béthunois, beaucoup de conseils pratiques relèvent de la simplicité volontaire. Voici quelques exemples, présents ou non dans le guide, et faciles à mettre en application pour beaucoup d’entre nous :

- faire de la marche ou du vélo pour les petits trajets plutôt que de recourir à la voiture ;
- profiter du samedi pour faire une balade en forêt ou pour s’investir dans une association plutôt que de se rendre au centre commercial ;
- limiter sa garde-robe en offrant un vêtement que l’on ne porte plus ou quasiment plus pour chaque vêtement que l’on achète ;
- faire durer ses objets plutôt que de les renouveller sans cesse en suivant les modes ;
- emprunter en bibliothèque plutôt que d’acheter toujours de nouveaux livres que l’on a jamais le temps ou le courage de finir ;
- ne pas allumer sa télévision une soirée dans la semaine et redécouvrir des loisirs et des activités bien plus créatives comme la pratique d’un instrument ou la lecture.

Dominique Boisvert nous rappelle qu’il n’y a pas de recette toute établie. La simplicité volontaire ne fait pas l’objet d’un « copyright ». Mais à la question « par quoi commencer » il nous conseille ces quelques initiatives :

« - si votre problème, c’est le manque d’argent, alors n’engagez plus de crédit, essayez de distinguer clairement vos besoins réels de vos simples désirs, reportez systématiquement les achats non urgents d’une semaine ou deux et vous constaterez souvent que ces achats compulsifs n’en valaient pas la peine, et si vous habitez en ville vous pouvez envisager de vivre sans voiture, ou tout au moins de l’utiliser le plus rarement possible ;

- si votre priorité est d’améliorer votre qualité de vie, songez à limiter l’usage de la télévision, à vous désencombrer des objets inutiles chez vous, et à vous arretez de temps en temps pour vérifier que votre vie va dans le sens que vous l’entendez. »

On peut dire que pour chaque domaine de notre vie la simplicité volontaire apporte des solutions, des idées pour vivre mieux à la fois pour soi, pour les autres et pour la nature. C’est un cheminement personnel que chacun peut approfondir jusqu’au point qui lui semble satisfaisant. Exemple très concret. Imaginons que vous aimiez, comme moi, la compote de pommes. Notre mode de vie actuel est tel que logiquement je devrais prendre ma voiture et aller en acheter au supermarché. Que puis-je faire dans une perspective de simplicité volontaire ?

- 1er pas : je prends ma voiture, certes, mais je vais au marché, j’achète des pommes, et je fais moi-même ma compote (et si moi j’y arrive, tout le monde peut le faire !).
- 2nd pas : je me rends à pied (ou à vélo) au marché, j’achète des pommes biologiques de la région et je continue à faire ma compote.
- 3e pas : je récolte les pommes de mon jardin, je fais de la compote pour moi mais aussi pour en offrir à ma famille et à mes amis.

Si l’on regarde bien, ce cheminement cumule un tas d’avantages :

- réduction des déplacements motorisés (moins de dépenses et de pollution, baisse de l’insécurité routière, du bruit, etc) ;
- réduction des pollutions liées aux transports de marchandises (produits de la région, et produits de saison) ;
- réduction de la pollution chimique et des risques de cancer (pommes biologiques) ;
- réduction de la pollution publicitaire (le petit agriculteur du coin ne nous harcèle pas avec des affiches et des prospectus comme peuvent le faire les grandes surfaces) ;
- avantages sur le plan social et relationnel (je fais travailler les producteurs régionaux, la convivialité est bien plus grande sur un marché que dans un centre commercial, je cuisine dans un esprit de partage) ;
- avantage pour ma santé (je marche, ou je fais du vélo) ;
- gain en autonomie (j’apprends à faire ma compote) ;
- parfois même économies d’argent (ce n’est pas toujours plus cher au marché, loin s’en faut).

Vous voyez donc à travers cet exemple que la simplicité volontaire ne relève pas de l’exploit individuel, mais plutôt du bon sens, et de l’esprit de responsabilité. Vous constatez également qu’un petit effort au départ (rompre avec une habitude, ne pas prendre la voiture, apprendre une recette) amène un tas de facilités : c’est ce que l’on appelle le paradoxe de la vie facile. On perçoit enfin que, appliquée à un grand nombre d’individus, cette simplicité pourrait amener de nombreux changements.

Quelles sont les critiques habituelles que doit subir la simplicité volontaire ?

- « Si on arrête de consommer, on va faire du chômage. » Cet argument démontre à quel point nous avons su nous enfermer dans des impasses. Aujourd’hui on est prêt à foutre en l’air la planète sous prétexte de continuer à occuper les gens à produire des trucs toxiques : des armes, des centrales nucléaires, de la publicité, des voitures, des pesticides, etc. Ce n’est pas tenable. Ensuite, beaucoup de nos consommations aujourd’hui font en réalité travailler des gens à l’autre bout de la planète et plus du tout en France : or la simplicité volontaire encourage un certain degré de relocalisation de l’économie, et le soutien aux productions locales et régionales, et à ce titre elle fera beaucoup plus contre le chômage que notre fameuse croissance économique. Surtout, la simplicité volontaire fait que l’on a besoin de moins d’argent : on peut plus facilement partager le travail.

- « C’est retourner à l’âge de pierre. » La simplicité volontaire a existé à toutes les périodes et elle est pratiquée par plein de gens aujourd’hui, parfois même sans le savoir : elle a un caractère universel et intemporel. On peut faire preuve de frugalité tout en profitant des apports de la modernité comme l’usage d’internet par exemple. On constate même que les sources d’information sur la simplicité volontaire se trouvent d’abord sur internet ! Dénigrer sans cesse le passé fait partie aujourd’hui de l’idéologie dominante, alors même que le passé nous inspire sans cesse (pensez aux villes qui s’équipent de tramways, ou aux logements qui comportent un système de récupération des eaux pluviales). Et selon l’association W.W.F., l’empreinte écologique des Français était encore « soutenable » (elle n’exigeait qu’une seule planète) en 1961. Or les années 1960 ce n’est pas la Préhistoire ! Beaucoup de personnes qui ont connu cette période m’affirment que la vie était bien plus facile à l’époque. Il n’y avait pourtant pas le TGV, ni le portable, ni internet, ni les appareils-photo numériques, ni les PC, etc. Par contre, croire que l’on pourra continuer comme on le fait actuellement, ça c’est vraisemblablement un raisonnement datant de l’âge de pierre. Car la planète a des limites.

- « Oui mais ils vont nous trouver des solutions technologiques. » Mais qui sont ces ils ? Les experts qui nous ont caché les effets de l’amiante ? Qui nous ont embarqué dans le nucléaire ? Qui nous affirment que les ondes des portables n’ont aucun effet sur la santé ? Ou que les O.G.M. sont là pour nourrir les affamés de la planète ? Si ce sont eux, on est déjà certains que leurs solutions seront pires que les problèmes à résoudre.

Et la technique ne peut pas tout. Prenons l’exemple des voitures. Le pétrole s’épuise. On nous dit mais c’est pas grave on va faire des voitures qui consomment moins. Mais ces petits progrès sont largement anéantis par la progression du nombre de voitures dans le monde ! Alors on nous dit, pas de problème, voilà les biocarburants. Mais si on fait rouler nos véhicules avec du biocarburant il faut remplacer toute la surface agricole du pays par du colza ou de la betterave : donc on ne nourrit plus les gens. Et puis l’agriculture consomme beaucoup d’eau (déjà manquante) et…du pétrole ! Il faut parfois 0,9 litre de pétrole pour faire 1 litre de biocarburant, c’est parfaitement ridicule. C’est donc le serpent qui se mord la queue. Ah mais attendez, il y a aussi le moteur électrique. Problème : le bilan écologique est encore moins bon que les voitures actuelles. Et les voitures électriques risquent d’être des voitures nucléaires étant donnée la situation française. Etc, etc. La vraie solution est d’apprendre à se passer de la voiture, mais nous voulons toujours répondre à un problème en variant l’offre, jamais en apprenant à réduire la demande.

- « La simplicité volontaire c’est retomber dans la pauvreté. » D’abord la pauvreté c’est très subjectif. Comme le rappelle André Gorz : « dans les années 1930, on était pauvre quand on ne pouvait s’acheter un poste de T.S.F. ; dans les années 1960, on était pauvre quand on devait se priver d’un téléviseur ; dans les années 1970 on devient pauvre faute d’un téléviseur couleur, etc. » La pauvreté se définit donc d’abord par rapport à une norme sociale, qui change dans le temps mais aussi en fonction des pays. On n’est jamais pauvre dans l’absolu, on est toujours pauvre par rapport à quelqu’un d’autre. Dominique Boisvert, auteur de l’ABC de la simplicité volontaire nous dit fort à propos : « Ce qui était hier un luxe est aujourd’hui une nécessité et sera peut-être demain un signe de pauvreté. » Et puis de quelle pauvreté parle-t-on ? La pauvreté en argent, en amour, en relations sociales, en valeurs, en capacité de jugement, en savoirs-faire ? Un commerçant de Béthune me confiait récemment qu’à l’époque où il était apprenti, il n’avait pas un sou en poche, et tous les midis, c’est sa petite amie qui lui payait son café. Et il était parfaitement heureux !

- « Oui mais tout cela c’est utopique, on ne pourra jamais changer les mentalités. » D’abord je revendique tout à fait le caractère utopique de mes initiatives et de mes propos. Car nous avons justement besoin d’utopie pour avancer. Regardez nos partis politiques : ils sont en panne d’utopie, ils sont moribonds, tout ce qu’ils nous proposent c’est de produire toujours plus alors que nous sommes saturés. Même dans des partis qui se disent écologistes on croit encore largement en la croissance économique ! Par ailleurs, l’utopie s’accompagne toujours d’une grande lucidité. Il faut en effet avoir constaté et analysé les aberrations du monde dans lequel nous vivons pour commencer à proposer des utopies. Seules les personnes qui ne voient pas à quel point notre mode de vie est destructeur ne s’intéressent pas aux utopies. Ou ceux qui profitent de cette destruction !

Quant aux mentalités elles peuvent changer. L’esclavage paraissait tout à fait normal sous l’Antiquité. Le servage était considéré comme inéluctable pour les paysans du Moyen-Age. Les ouvriers du XIXe siècle trouvaient normal de travailler 13 heures ou 14 heures par jour pour des salaires de misère. Or les mentalités ont changé puisque ces conditions nous paraîtraient tout à fait inacceptables aujourd’hui ! Pourquoi ces gens acceptaient-ils cela sans se révolter ? Marx nous avait expliqué que tout cela était le fruit de « l’idéologie ». L’idéologie est un système de pensées propre à une société et à une époque et qui nous fait envisager la réalité comme inéluctable, et nous fait accepter des valeurs et des comportements quelle que soit leur nocivité, car l’idéologie prétend que les choses ont toujours été ainsi et que l’on ne peut rien faire. L’idéologie a aussi pour principe de nous cacher certains aspects de notre réalité. Ainsi la publicité, en tant que discours idéologique, nous cache les effets sociaux et environnementaux de nos consommations. Penser que le monde puisse être autrement, c’est lancer un défi à l’idéologie dominante, et à ceux qui en profitent.

Quels sont les points forts de la simplicité volontaire aujourd’hui ?

Certes, la simplicité volontaire ne résoudra pas tous les problèmes. Ainsi, on aura beau faire preuve de sobriété, rien n’empêche nos gouvernements de continuer sur la voie du nucléaire par exemple. Selon le député vert Yves Cochet, la sobriété demeure une demi-solution tant notre mode de vie sera remis en cause par la fin du pétrole. Et puis on a beau vouloir se passer d’une voiture, l’aménagement du territoire est d’abord pensé en fonction d’elle, de sorte que parfois on est dans « l’obligation » de l’utiliser. La simplicité volontaire peut consister à vivre totalement sans voiture mais nous savons que pour l’instant c’est très difficile pour la plupart d’entre nous. Il faudrait donc en principe compléter cette démarche par un engagement politique. Mais la simplicité volontaire, qui elle demeure d’abord individuelle et philosophique, est utile et nécessaire pour plusieurs raisons.

- Etant donné les limites écologiques de la planète, et étant donné que la population continue de s’accroître, tôt ou tard des restrictions nous seront imposées. C’est un argument que je n’aime pas trop mettre en avant, mais je crois que la simplicité volontaire on la choisit maintenant ou elle nous sera imposée plus tard. Et il n’est pas dit que plus tard tout cela se fera de façon démocratique et équitable… Souvenons-nous que lorsque le Titanic heurta l’iceberg, les passagers de 1ère classe furent les premiers à pouvoir accéder aux canots de sauvetage.

- Ensuite je dirais qu’elle est accessible à tous et peut-être mise en pratique tout de suite, elle a un caractère extrêmement concret. À ce titre, elle permet de vaincre le sentiment d’impuissance que l’on peut ressentir aujourd’hui. La simplicité volontaire c’est « ici et maintenant ». Chacun peut, à travers ses actes, appliquer le protocole de Kyoto, et même bien plus, sans attendre que les initiatives viennent toujours des gouvernements (quand elles viennent…). Le groupe Marcuse, groupe de chercheurs ayant publié un ouvrage sur les dégâts de la publicité, affirmait ceci : « Tout ce qui donne l’occasion de sortir de la désolation, de réaliser qu’on n’est pas seul à ressentir ce qu’on ressent peut contribuer à atténuer la passivité généralisée. »

- Elle nous fait prendre conscience qu’au fond nos besoins matériels sont rapidement satisfaits dès l’instant que l’on sort du système des modes et de la consommation comme signe de réussite et mode d’épanouissement. Elle permet ainsi d’échapper à un sentiment d’insécurité, de manque et de frustration permanent, qui nous pousse à consommer toujours plus. Car en effet le système capitaliste nous promet l’abondance, mais se doit dans le même temps d’organiser la rareté, car seule la rareté permet de donner un prix aux choses.

- C’est une approche non-violente à laquelle nos dirigeants seront bien obligés de s’adapter. Serge Mongeau nous dit ainsi : « Pas besoin d’essayer de détruire le système ou d’en prendre le contrôle. Ce sera suffisant de lui retirer notre soutien. » Nous avons donc un pouvoir énorme par le biais de nos choix de consommation et de non-consommation : à nous d’en faire usage, ici et maintenant !

- C’est une idée universelle, qui peut être comprise par tout le monde, respectueuse des individus et de leur créativité, et respectueuse des peuples dans leur diversité et dans leur capacité ancestrale à subvenir à leurs véritables besoins (elle s’oppose en cela au concept strictement occidental de « développement »).

- Elle redonne de la dignité à ceux que l’on qualifie de « pauvres » en rappelant la distinction nécessaire entre « pauvreté » et « misère ». Majid Rahnema nous rappelle ainsi, en s’appuyant sur saint Thomas, que « la pauvreté représente le manque du superflu, alors que la misère signifie le manque du nécessaire ».

En conclusion, j’affirme que l’homme moderne, qui étouffe sous le superflu, et qui pense pouvoir changer sa condition en courant après encore plus de superflu, cet homme là que nous qualifions de « riche » a une vie misérable. Misérable car il néglige les valeurs, ses seuls repères se mesurent en euros ou en dollars, il ne peut prendre en main sa destinée car ce sont les publicitaires qui le font pour lui. Majid Rahnema nous dit en effet : « La misère morale qui déshumanise ainsi ses victimes, [n’est] pas le seul fait des indigents. Elle frappe de manière peut-être plus pernicieuse encore les riches et les nantis avides de superflus. »

Au contraire, l’homme que nous qualifions de « pauvre », et qu’à la manière de François Brune je préfère appeler « homo frugalis », hé bien cet homme là, parce qu’il se contente volontairement du nécessaire, celui là est responsable. Sur notre lit de mort, lorsque nous regarderons derrière nous, la taille de notre compte en banque et l’étendue de nos possessions n’auront plus aucune importance. Seules deux interrogations subsisteront. La première est : ne suis-je pas passé à côté de quelque chose, en courant après un modèle de réussite qui ne me correspondait pas ? Dans le roman Des jours et des nuits de Gilbert Sinoué, l’Indien Yanpa nous dit ainsi : « Mourir n’a aucune importance. C’est la manière dont on a vécu qui compte. Dites-vous bien ceci, señor : l’enfer, ce sont nos rendez-vous manqués. » La seconde pourrait être formulée ainsi : que vois-je sur le chemin que j’ai tracé ? Un désert qui avance, ou une terre fertile où pourront pousser de nouvelles fleurs, et les fruits qui nourriront mes enfants et petits-enfants ?

Pour résumer la simplicité volontaire consiste :

- à vivre selon ses propres aspirations en définissant ses objectifs et ses priorités,
- à se désencombrer pour se libérer du temps, de l’énergie et s’éclaircir l’esprit,
- à vivre mieux avec moins, tout en privilégiant la qualité sur la quantité,
- à relativiser l’aspect économique de notre vie pour l’enrichir sur d’autres plans,
- à retrouver de l’autonomie en développant ses savoirs-faire et la confiance en soi,
- à tenter de vivre de façon socialement et écologiquement responsable.

Et pour ceux qui préfèrent une définition encore plus simple, je propose cette formule qui ne plaira pas aux publicitaires et c’est pour cela que je l’aime d’ailleurs : plus je suis heureux, moins je consomme, et moins je consomme, plus je suis heureux.

Stéphane Charlier, décembre 2005