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La simplicité volontaire, ou comment vivre simplement, pour que simplement
dautres puissent vivre. »
Intervention dans lémission
de Radio Bruaysis, « Sale temps sur la planète », le mercredi
21 décembre 2005. Stéphane Charlier
texte trouvé sur: http://viesimple.canalblog.com/
Les impasses de notre mode de vie
Pour le caractériser, je vais faire appel à la notion dempreinte écologique. Lempreinte écologique représente la superficie nécessaire pour produire les consommations dun individu, produire lénergie quil consomme, et absorber ses déchets. Elle sexprime donc en hectares par habitant : plus je consomme, plus il faut mettre en valeur une grande superficie rien que pour moi, et donc au plus mon passage sur Terre laissera une trace dans la nature. Lempreinte écologique dun français moyen est de 5,2 hectares. Un Américain du Nord a besoin de près de 10 hectares. Mais le plus intéressant, vous vous en doutez, est de comparer ces chiffres avec les capacités de la planète. Or, selon lassociation W.W.F., les capacités de la Terre sont dà peu près 1,9 hectares par individu. Alors, me direz-vous, comment pouvons-nous nous permettre de demander plus que la planète ne peut endurer ? Cela est rendu possible car près de 4 milliards dindividus sont en dessous de ces 1,9 hectares (Asie, Afrique, Océanie) ! Ainsi les habitants du Mozambique utilisent 0,5 hectares. Imaginez un gâteau pour dix personnes : vous le divisez donc en dix parts. Mais deux personnes prennent chacune 4 parts et il nen reste plus que 2 pour les 8 autres invités : nous faisons pareil à léchelle de la planète ! 3 points très clairs ressortent donc de ces chiffres :
- notre mode de vie est égoïste car nous consommons ce qui pourrait revenir à dautres : (mais comme dirait Georges Bush, notre mode de vie « nest pas négociable ») ;
- notre mode de vie est destructeur sur le plan écologique (puisque nous allons au-delà des capacités de la planète) ;
- notre mode de vie ne pourra pas être étendu au reste de lhumanité : si tout le monde devait vivre comme nous Français, nous aurions besoin des ressources de 3 planètes comme la Terre ! Et donc, si lon comprend lexpression « développement » comme une diffusion de notre mode de vie occidental (et cest bien ce dont il sagit dailleurs), alors le développement des pays du Sud est parfaitement impossible.Autre caractéristique de notre mode de vie : il ne prend pas en compte la question des conditions de vie de nos enfants et petits-enfants, il est donc doublement égoïste. Chaque hectare de forêt qui nest pas remplacé viendra à manquer, les espèces qui disparaissent emportent avec elles des possibilités potentielles de traitements médicaux (indépendamment de ces possibilités de traitement, toute disparition despèce est en soi regrettable), les ressources en eau épuisées et/ou polluées mettront longtemps à se reconstituer, nous leur laissons gentillement le soin de gérer la question du réchauffement climatique et des déchets nucléaires pour ne pas avoir à remettre en cause notre petit confort actuel, nous épuisons allègrement les réserves de pétrole, et lensemble des minerais disponibles. Déjà en 1979 l'économiste N. Georgescu-Roegen affirmait : « chaque fois que nous produisons une voiture, nous le faisons au prix d'une baisse du nombre de vies à venir. » Pour résumer nos enfants seront plus nombreux à se partager des ressources plus rares sur une planète plus polluée.
Le plus incroyable cest que ce mode de vie auquel nous nous accrochons ne nous rend pas vraiment heureux ! Comment se fait-il en effet que les Maliens, qui ont 100 fois moins que nous (avec un P.N.B. de 240 $/hab contre 24000 en France en 2000), sont-ils dix fois plus souriants et plus accueillants ? Voici un petit texte qui circule sur internet, et qui à mon humble avis résume très bien le malaise qui traverse la société dite moderne (texte trouvé sur le site des Amis de la Terre Belgique) :
« De nos jours, nous avons des édifices plus élevés et des autoroutes plus larges, mais notre niveau de tolérance est plus bas et notre esprit plus étroit. Nous dépensons davantage, mais nous nous amusons moins. Nous avons de plus grandes maisons, mais de plus petites familles. Nous avons plus de compromis, mais moins de temps. Nous avons plus de connaissances, mais moins de jugement, plus de médicaments mais moins de santé. Nous avons multiplié nos possessions, mais réduit nos valeurs. Nous avons conquis lespace intersidéral, mais pas notre espace intérieur. Nous avons des revenus plus élevés, mais le moral au plus bas. Nous vivons à une époque où il y a plus de liberté, mais moins de joie, où il faut deux salaires pour chaque foyer, mais où les divorces augmentent. »
Et au-delà de ces éléments plus ou moins subjectifs, il faut rappeler que nous contractons de multiples maladies dites « de civilisation » c'est-à-dire liées à notre mode de vie, en particulier les cancers et les maladies cardio-vasculaires (voir à ce propos lAppel de Paris nous mettant en garde sur toutes les conséquences liées à la pollution chimique).
Si notre mode de vie détruit lenvironnement, accentue les inégalités, remet en cause les conditions de vie des générations futures, nous rend physiquement et mentalement malades, et ne nous rend pas plus heureux, alors il est temps de changer ! Contrairement à ce quaffirmait George Bush, non seulement notre mode de vie est négociable, mais nous avons tout intérêt à le négocier. Mais comment faire, et par quoi commencer, car la tâche semble tellement immense. Je voudrais donc vous parler dune modeste solution, mais une solution accessible à tout le monde, une solution vieille comme le monde : la simplicité volontaire.
Quest-ce que la simplicité volontaire, et doù vient-elle ?
La simplicité volontaire est un cheminement qui consiste à se débarasser de ce qui relève du superflu dans notre vie, à vivre mieux avec moins, à se libérer au maximum des contraintes matérielles et financières pour enrichir sa vie sur dautres plans, à sortir de la spirale de la surconsommation, et surtout à vivre selon ses propres aspirations. La simplicité volontaire privilégie la qualité plutôt que la quantité, lêtre plutôt que lavoir, le partage et lentraide plutôt que le chacun pour soi, la coopération plutôt que la compétition, la jouissance de ce que lon a plutôt que lenvie de ce que les autres ont (et qui ne les rend pas plus heureux !), lamélioration de ce que lon trouve autour de soi plutôt quune fuite perpétuelle vers un ailleurs, la lenteur plutôt que lagitation, la créativité et la participation plutôt que la passivité et la consommation. Il sagit donc, à bien des égards, dune rupture salvatrice avec le conformisme ambiant.
Le terme apparaît sans doute pour la 1ère fois en 1936 quand un adepte de Gandhi, Richard Gregg, rédige un article à son propos. Gandhi nous disait : « il nous faut vivre simplement, pour que, simplement, dautres puissent vivre ». Pour lui la simplicité volontaire cest donc dabord le choix dune certaine frugalité répondant au nécessaire partage des ressources, forcément limitées, de notre planète. Mais lidée de simplicité est bien plus ancienne.
- Socrate affirmait ainsi que sa pauvreté vestimentaire l'avait aidé à jouir d'une totale liberté et d'une richesse incomparable à celle des plus riches. Et sur le temples de Delphes on pouvait lire : « Rien en excès ».
- Pour Epicure, contrairement à lidée que lon sen fait aujourdhui, le bonheur se trouve dans les choses simples de la vie, comme les repas et les amis. Le désir de richesse ou de prestige est le fruit du conditionnement social et sont à éviter parce qu'ils nous procurent souvent plus de mal que de bien.
- La légende raconte que Diogène le Cynique, à la vue dun enfant buvant dans ses mains, aurait brisé son écuelle, considérant quil possédait encore trop, alors quil avait déjà fait le choix du dénuement.
- Le message de pauvreté de Jésus peut être interprété comme un appel à la simplicité volontaire, tandis que la pratique du Sabbat chez les Juifs peut être compris comme une rupture avec le volonté davoir plus, et le choix dêtre, tout simplement (Erich Fromm).
- Il existe, en persan et en arabe, le mot qana'at qui signifie « contentement de ce qu'on a et de ce qui est perçu comme la part de chacun dans l'ordre cosmique ».
- Benjamin Franklin, lun des pères de la Constitution des Etats-Unis affirma ceci : « Largent na jamais rendu un homme heureux ni ne le fera jamais. Il ny a rien dans la nature de largent qui puisse produire le bonheur. Plus un homme en a et plus il en veut. Au lieu de remplir le vide, il en crée davantage. »
- Chez les Amérindiens, un chef micmac affirma : « Aussi misérables que nous puissions paraître à vos yeux [de Blancs], nous nous considérons beaucoup plus heureux que vous puisque nous sommes très contents du peu que nous avons. »
- En 1856, le gouvernement américain veut racheter des terres dans la région actuelle de Seattle. Le chef indien Ours Debout, chef de la tribu Duwamish, répondit notamment ceci : « Mais comment pouvez-vous acheter ou vendre le ciel, ou la chaleur de la terre ? Cette idée est étrange à nos yeux. Nous ne sommes pas propriétaires de la fraîcheur de lair et du scintillement de l'eau. Comment pouvez-vous nous les acheter ? [ ] Dans les villes, le bruit semble uniquement destiné à blesser les oreilles. Quel sens a la vie d'un homme s'il ne peut entendre le cri solitaire de la chouette ou le bavardage des grenouilles au bord de létang ? Je ne suis quun homme rouge, sauvage et stupide et je ne comprends pas. »
- Lorsque, un peu plus tard, le poète et philosophe Henry David Thoreau part vivre dans les bois, il pratique à sa manière la simplicité volontaire : « Simplifiez, simplifiez, simplifiez. À quoi sert limmense gaspillage dénergie que déploient les hommes pour conquérir le confort ? En sont-ils plus heureux ? Ne mènent-ils pas plutôt une vie de morne désespoir ? »
Et cette frugalité choisie, parce quelle est libératrice, et parce quelle rend plus heureux, est en train dêtre adoptée par un nombre grandissant dindividus écoeurés par la société de consommation, et par la perpétuelle frustration nécessaire à son fonctionnement. En 1981, la notion de simplicité volontaire est popularisée aux Etats-Unis par Duane Elgin dans son livre intitulé Simplicité volontaire. En 1985, Serge Mongeau, un auteur québecois, rédige un 1er ouvrage sur la question : La simplicité volontaire, plus que jamais. Quelques années plus tard, en 2000, apparaît le Réseau Québécois pour la Simplicité Volontaire.
Serge Mongeau nous y explique quil y a 5 grandes raisons qui poussent des gens sur cette voie de la simplicité :
« - parce que leur situation financière na plus de sens, quils narrivent pas à rejoindre les deux bouts ;
- parce quils voient leur vie passer en coup de vent, nayant pas de temps pour en prendre conscience, pour la vivre vraiment et pour faire ce qui pourrait réellement lui donner un sens
- parce quils se préoccupent de lenvironnement et quils prennent conscience du gaspillage quentraîne notre style de société ;
- parce quils sentent le vide de leur vie meublée par la consommation, mais qui ne laisse pas de place au développement de leur spiritualité ;
- parce quils prennent conscience des inouïes disparités qui caractérisent ce monde dans lequel nous crevons à cause de notre surconsommation alors quailleurs on manque de lessentiel. »Alors si vous vous sentez concerné par une ou plusieurs de ces situations, je vous invite à découvrir les « richesses » de la simplicité volontaire.
Concrètement cela consiste en quoi dans la vie de tous les jours ?
Dans simplicité volontaire, vous aurez remarqué, il y a « volontaire ». Cela ne veut pas dire quil faut fournir des efforts immenses pour y arriver. Le terme « volontaire » veut dire en fait que vous décidez de vivre selon votre volonté. Autrement dit, il faut que vous parveniez à définir clairement ce que vous voulez faire de votre vie. Il sagit donc de reprendre le contrôle de son existence plutôt que de suivre le courant sans savoir sil nous emmène là où nous désirons vraiment nous rendre. Sur internet jai trouvé cette simple définition de la simplicité volontaire : « se concentrer sur lessentiel et débrancher le pilotage automatique ». La même personne un peu plus loin pose cette question : « Etes vous sûr d'avoir des comportements et des achats choisis, réfléchis, ceux qui poursuivent l'objectif de votre bonheur, de votre éthique, de vos aspirations et de vos valeurs ? »
Quand vous avez identifié votre but, vos valeurs, vos priorités, votre propre définition de la « réussite », vous parvenez alors plus facilement à repérer ce qui est important pour vous, et donc ce qui ne lest pas, de sorte que vous pouvez opérer un tri dans vos possessions, vos activités et donc dans vos relations. Pour mieux en conforter dautres bien sûr.
La simplicité volontaire consiste ensuite à se désencombrer sur le plan matériel. En effet, les objets qui saccumulent dans nos habitations, et tout autour de nous, ne font quaccaparer notre temps, notre énergie, notre attention et bien sûr notre argent. Dans son ouvrage intitulé La convivialité, Ivan Illich nous dit fort à propos : « La surabondance de biens mène à la rareté de temps. Le temps se raréfie parce quil faut le temps de consommer [ ] Plus [le consommateur] est haut perché dans la pyramide de la production, et moins il a le temps de sabandonner aux activités quon ne saurait comptabiliser. » En vous désencombrant vous allez donc améliorer votre situation financière, gagner du temps libre (vous pourrez par exemple travailler moins), accorder plus dattention à vos proches, et surtout vous aurez les idées plus claires, lesprit plus léger. La simplicité volontaire cest donc le choix, en conscience, dune frugalité heureuse.
Cela sous-entend également que lon évite de se ré-encombrer, en jaugeant de façon lucide la nécessité de chaque achat. Voici quelques questions que lon peut se poser avant chaque achat (sans non plus camper dans le magasin !) :
1. En ai-je vraiment besoin ? Comme nous achetons aussi pour nous faire plaisir
2. Cet achat me donnera-t-il un plaisir suffisant pour justifier les heures de travail nécessaires afin de payer lobjet ou le service en question ? Et comme un plaisir est toujours éphémère, pour le grand bonheur des industriels, 3e question :
3. Vais-je utiliser de façon durable cet objet ou répond-il à une envie passagère ? Dépassons un peu la vision strictement individuelle et posons-nous la question des implications globales de nos consommations.
4. Quel est le véritable coût de lobjet (matières premières, transports, déchets, risques sanitaires, publicité, main duvre exploitée ou non, etc) ? Remettons également lobjet ou le service en perspective par rapport à nos priorités.
5. La consommation de ce bien, ou de ce service, me rapproche-t-elle de mes objectifs ? Ou, au contraire, men éloigne-t-elle ?
6. Cet achat ne tente-t-il pas de répondre à un problème que je pourrais résoudre autrement ? (Beaucoup de consommations sont en réalité des consolations.)Mais attention, il ne sagit pas dascétisme, ou de privation. Il sagit de relativiser la dimension économique de lindividu, en tant que producteur-consommateur, au profit de toutes les autres dimensions de la vie. Léconomiste Paul Ekins, professeur à lUniversité de Westminster nous dit ainsi : « De manière résumée, les besoins [ ] de lêtre humain sont la sécurité matérielle, la reconnaissance sociale et lépanouissement personnel en fonction de certains idéaux (amour, justice, esthétique). Dans une telle perspective, consommer toujours plus perd toute signification une fois que lon a atteint un niveau de vie suffisant et rend impossible la réalisation des plus hautes virtualités de lêtre humain. »
Enfin la simplicité volontaire cest retrouver de lautonomie. En effet, nous sommes devenus bien incapables de produire nos aliments, de construire nos maisons, de nous déplacer autrement quavec des machines, de fabriquer nos vêtements, de nous soigner par nous-mêmes en ce qui concerne des pathologies bégnines, dorganiser nos propres fêtes, daider les membres de notre famille ou de réparer les objets que nous utilisons quotidiennement. Tout est fait pour que nous ayons toujours recours à un service marchand et à des experts. Même pour rencontrer lâme sur nous comptons aujourdhui sur des services marchands ! Hé bien la simplicité volontaire vise à retrouver des espaces dautonomie en développant ses savoirs-faire, et en reprenant confiance en soi.
Dans le Guide alternatif du Béthunois, beaucoup de conseils pratiques relèvent de la simplicité volontaire. Voici quelques exemples, présents ou non dans le guide, et faciles à mettre en application pour beaucoup dentre nous :
- faire de la marche ou du vélo pour les petits trajets plutôt que de recourir à la voiture ;
- profiter du samedi pour faire une balade en forêt ou pour sinvestir dans une association plutôt que de se rendre au centre commercial ;
- limiter sa garde-robe en offrant un vêtement que lon ne porte plus ou quasiment plus pour chaque vêtement que lon achète ;
- faire durer ses objets plutôt que de les renouveller sans cesse en suivant les modes ;
- emprunter en bibliothèque plutôt que dacheter toujours de nouveaux livres que lon a jamais le temps ou le courage de finir ;
- ne pas allumer sa télévision une soirée dans la semaine et redécouvrir des loisirs et des activités bien plus créatives comme la pratique dun instrument ou la lecture.Dominique Boisvert nous rappelle quil ny a pas de recette toute établie. La simplicité volontaire ne fait pas lobjet dun « copyright ». Mais à la question « par quoi commencer » il nous conseille ces quelques initiatives :
« - si votre problème, cest le manque dargent, alors nengagez plus de crédit, essayez de distinguer clairement vos besoins réels de vos simples désirs, reportez systématiquement les achats non urgents dune semaine ou deux et vous constaterez souvent que ces achats compulsifs nen valaient pas la peine, et si vous habitez en ville vous pouvez envisager de vivre sans voiture, ou tout au moins de lutiliser le plus rarement possible ;
- si votre priorité est daméliorer votre qualité de vie, songez à limiter lusage de la télévision, à vous désencombrer des objets inutiles chez vous, et à vous arretez de temps en temps pour vérifier que votre vie va dans le sens que vous lentendez. »
On peut dire que pour chaque domaine de notre vie la simplicité volontaire apporte des solutions, des idées pour vivre mieux à la fois pour soi, pour les autres et pour la nature. Cest un cheminement personnel que chacun peut approfondir jusquau point qui lui semble satisfaisant. Exemple très concret. Imaginons que vous aimiez, comme moi, la compote de pommes. Notre mode de vie actuel est tel que logiquement je devrais prendre ma voiture et aller en acheter au supermarché. Que puis-je faire dans une perspective de simplicité volontaire ?
- 1er pas : je prends ma voiture, certes, mais je vais au marché, jachète des pommes, et je fais moi-même ma compote (et si moi jy arrive, tout le monde peut le faire !).
- 2nd pas : je me rends à pied (ou à vélo) au marché, jachète des pommes biologiques de la région et je continue à faire ma compote.
- 3e pas : je récolte les pommes de mon jardin, je fais de la compote pour moi mais aussi pour en offrir à ma famille et à mes amis.Si lon regarde bien, ce cheminement cumule un tas davantages :
- réduction des déplacements motorisés (moins de dépenses et de pollution, baisse de linsécurité routière, du bruit, etc) ;
- réduction des pollutions liées aux transports de marchandises (produits de la région, et produits de saison) ;
- réduction de la pollution chimique et des risques de cancer (pommes biologiques) ;
- réduction de la pollution publicitaire (le petit agriculteur du coin ne nous harcèle pas avec des affiches et des prospectus comme peuvent le faire les grandes surfaces) ;
- avantages sur le plan social et relationnel (je fais travailler les producteurs régionaux, la convivialité est bien plus grande sur un marché que dans un centre commercial, je cuisine dans un esprit de partage) ;
- avantage pour ma santé (je marche, ou je fais du vélo) ;
- gain en autonomie (japprends à faire ma compote) ;
- parfois même économies dargent (ce nest pas toujours plus cher au marché, loin sen faut).Vous voyez donc à travers cet exemple que la simplicité volontaire ne relève pas de lexploit individuel, mais plutôt du bon sens, et de lesprit de responsabilité. Vous constatez également quun petit effort au départ (rompre avec une habitude, ne pas prendre la voiture, apprendre une recette) amène un tas de facilités : cest ce que lon appelle le paradoxe de la vie facile. On perçoit enfin que, appliquée à un grand nombre dindividus, cette simplicité pourrait amener de nombreux changements.
Quelles sont les critiques habituelles que doit subir la simplicité volontaire ?
- « Si on arrête de consommer, on va faire du chômage. » Cet argument démontre à quel point nous avons su nous enfermer dans des impasses. Aujourdhui on est prêt à foutre en lair la planète sous prétexte de continuer à occuper les gens à produire des trucs toxiques : des armes, des centrales nucléaires, de la publicité, des voitures, des pesticides, etc. Ce nest pas tenable. Ensuite, beaucoup de nos consommations aujourdhui font en réalité travailler des gens à lautre bout de la planète et plus du tout en France : or la simplicité volontaire encourage un certain degré de relocalisation de léconomie, et le soutien aux productions locales et régionales, et à ce titre elle fera beaucoup plus contre le chômage que notre fameuse croissance économique. Surtout, la simplicité volontaire fait que lon a besoin de moins dargent : on peut plus facilement partager le travail.
- « Cest retourner à lâge de pierre. » La simplicité volontaire a existé à toutes les périodes et elle est pratiquée par plein de gens aujourdhui, parfois même sans le savoir : elle a un caractère universel et intemporel. On peut faire preuve de frugalité tout en profitant des apports de la modernité comme lusage dinternet par exemple. On constate même que les sources dinformation sur la simplicité volontaire se trouvent dabord sur internet ! Dénigrer sans cesse le passé fait partie aujourdhui de lidéologie dominante, alors même que le passé nous inspire sans cesse (pensez aux villes qui séquipent de tramways, ou aux logements qui comportent un système de récupération des eaux pluviales). Et selon lassociation W.W.F., lempreinte écologique des Français était encore « soutenable » (elle nexigeait quune seule planète) en 1961. Or les années 1960 ce nest pas la Préhistoire ! Beaucoup de personnes qui ont connu cette période maffirment que la vie était bien plus facile à lépoque. Il ny avait pourtant pas le TGV, ni le portable, ni internet, ni les appareils-photo numériques, ni les PC, etc. Par contre, croire que lon pourra continuer comme on le fait actuellement, ça cest vraisemblablement un raisonnement datant de lâge de pierre. Car la planète a des limites.
- « Oui mais ils vont nous trouver des solutions technologiques. » Mais qui sont ces ils ? Les experts qui nous ont caché les effets de lamiante ? Qui nous ont embarqué dans le nucléaire ? Qui nous affirment que les ondes des portables nont aucun effet sur la santé ? Ou que les O.G.M. sont là pour nourrir les affamés de la planète ? Si ce sont eux, on est déjà certains que leurs solutions seront pires que les problèmes à résoudre.
Et la technique ne peut pas tout. Prenons lexemple des voitures. Le pétrole sépuise. On nous dit mais cest pas grave on va faire des voitures qui consomment moins. Mais ces petits progrès sont largement anéantis par la progression du nombre de voitures dans le monde ! Alors on nous dit, pas de problème, voilà les biocarburants. Mais si on fait rouler nos véhicules avec du biocarburant il faut remplacer toute la surface agricole du pays par du colza ou de la betterave : donc on ne nourrit plus les gens. Et puis lagriculture consomme beaucoup deau (déjà manquante) et du pétrole ! Il faut parfois 0,9 litre de pétrole pour faire 1 litre de biocarburant, cest parfaitement ridicule. Cest donc le serpent qui se mord la queue. Ah mais attendez, il y a aussi le moteur électrique. Problème : le bilan écologique est encore moins bon que les voitures actuelles. Et les voitures électriques risquent dêtre des voitures nucléaires étant donnée la situation française. Etc, etc. La vraie solution est dapprendre à se passer de la voiture, mais nous voulons toujours répondre à un problème en variant loffre, jamais en apprenant à réduire la demande.
- « La simplicité volontaire cest retomber dans la pauvreté. » Dabord la pauvreté cest très subjectif. Comme le rappelle André Gorz : « dans les années 1930, on était pauvre quand on ne pouvait sacheter un poste de T.S.F. ; dans les années 1960, on était pauvre quand on devait se priver dun téléviseur ; dans les années 1970 on devient pauvre faute dun téléviseur couleur, etc. » La pauvreté se définit donc dabord par rapport à une norme sociale, qui change dans le temps mais aussi en fonction des pays. On nest jamais pauvre dans labsolu, on est toujours pauvre par rapport à quelquun dautre. Dominique Boisvert, auteur de lABC de la simplicité volontaire nous dit fort à propos : « Ce qui était hier un luxe est aujourdhui une nécessité et sera peut-être demain un signe de pauvreté. » Et puis de quelle pauvreté parle-t-on ? La pauvreté en argent, en amour, en relations sociales, en valeurs, en capacité de jugement, en savoirs-faire ? Un commerçant de Béthune me confiait récemment quà lépoque où il était apprenti, il navait pas un sou en poche, et tous les midis, cest sa petite amie qui lui payait son café. Et il était parfaitement heureux !
- « Oui mais tout cela cest utopique, on ne pourra jamais changer les mentalités. » Dabord je revendique tout à fait le caractère utopique de mes initiatives et de mes propos. Car nous avons justement besoin dutopie pour avancer. Regardez nos partis politiques : ils sont en panne dutopie, ils sont moribonds, tout ce quils nous proposent cest de produire toujours plus alors que nous sommes saturés. Même dans des partis qui se disent écologistes on croit encore largement en la croissance économique ! Par ailleurs, lutopie saccompagne toujours dune grande lucidité. Il faut en effet avoir constaté et analysé les aberrations du monde dans lequel nous vivons pour commencer à proposer des utopies. Seules les personnes qui ne voient pas à quel point notre mode de vie est destructeur ne sintéressent pas aux utopies. Ou ceux qui profitent de cette destruction !
Quant aux mentalités elles peuvent changer. Lesclavage paraissait tout à fait normal sous lAntiquité. Le servage était considéré comme inéluctable pour les paysans du Moyen-Age. Les ouvriers du XIXe siècle trouvaient normal de travailler 13 heures ou 14 heures par jour pour des salaires de misère. Or les mentalités ont changé puisque ces conditions nous paraîtraient tout à fait inacceptables aujourdhui ! Pourquoi ces gens acceptaient-ils cela sans se révolter ? Marx nous avait expliqué que tout cela était le fruit de « lidéologie ». Lidéologie est un système de pensées propre à une société et à une époque et qui nous fait envisager la réalité comme inéluctable, et nous fait accepter des valeurs et des comportements quelle que soit leur nocivité, car lidéologie prétend que les choses ont toujours été ainsi et que lon ne peut rien faire. Lidéologie a aussi pour principe de nous cacher certains aspects de notre réalité. Ainsi la publicité, en tant que discours idéologique, nous cache les effets sociaux et environnementaux de nos consommations. Penser que le monde puisse être autrement, cest lancer un défi à lidéologie dominante, et à ceux qui en profitent.
Quels sont les points forts de la simplicité volontaire aujourdhui ?
Certes, la simplicité volontaire ne résoudra pas tous les problèmes. Ainsi, on aura beau faire preuve de sobriété, rien nempêche nos gouvernements de continuer sur la voie du nucléaire par exemple. Selon le député vert Yves Cochet, la sobriété demeure une demi-solution tant notre mode de vie sera remis en cause par la fin du pétrole. Et puis on a beau vouloir se passer dune voiture, laménagement du territoire est dabord pensé en fonction delle, de sorte que parfois on est dans « lobligation » de lutiliser. La simplicité volontaire peut consister à vivre totalement sans voiture mais nous savons que pour linstant cest très difficile pour la plupart dentre nous. Il faudrait donc en principe compléter cette démarche par un engagement politique. Mais la simplicité volontaire, qui elle demeure dabord individuelle et philosophique, est utile et nécessaire pour plusieurs raisons.
- Etant donné les limites écologiques de la planète, et étant donné que la population continue de saccroître, tôt ou tard des restrictions nous seront imposées. Cest un argument que je naime pas trop mettre en avant, mais je crois que la simplicité volontaire on la choisit maintenant ou elle nous sera imposée plus tard. Et il nest pas dit que plus tard tout cela se fera de façon démocratique et équitable Souvenons-nous que lorsque le Titanic heurta liceberg, les passagers de 1ère classe furent les premiers à pouvoir accéder aux canots de sauvetage.
- Ensuite je dirais quelle est accessible à tous et peut-être mise en pratique tout de suite, elle a un caractère extrêmement concret. À ce titre, elle permet de vaincre le sentiment dimpuissance que lon peut ressentir aujourdhui. La simplicité volontaire cest « ici et maintenant ». Chacun peut, à travers ses actes, appliquer le protocole de Kyoto, et même bien plus, sans attendre que les initiatives viennent toujours des gouvernements (quand elles viennent ). Le groupe Marcuse, groupe de chercheurs ayant publié un ouvrage sur les dégâts de la publicité, affirmait ceci : « Tout ce qui donne loccasion de sortir de la désolation, de réaliser quon nest pas seul à ressentir ce quon ressent peut contribuer à atténuer la passivité généralisée. »
- Elle nous fait prendre conscience quau fond nos besoins matériels sont rapidement satisfaits dès linstant que lon sort du système des modes et de la consommation comme signe de réussite et mode dépanouissement. Elle permet ainsi déchapper à un sentiment dinsécurité, de manque et de frustration permanent, qui nous pousse à consommer toujours plus. Car en effet le système capitaliste nous promet labondance, mais se doit dans le même temps dorganiser la rareté, car seule la rareté permet de donner un prix aux choses.
- Cest une approche non-violente à laquelle nos dirigeants seront bien obligés de sadapter. Serge Mongeau nous dit ainsi : « Pas besoin dessayer de détruire le système ou den prendre le contrôle. Ce sera suffisant de lui retirer notre soutien. » Nous avons donc un pouvoir énorme par le biais de nos choix de consommation et de non-consommation : à nous den faire usage, ici et maintenant !
- Cest une idée universelle, qui peut être comprise par tout le monde, respectueuse des individus et de leur créativité, et respectueuse des peuples dans leur diversité et dans leur capacité ancestrale à subvenir à leurs véritables besoins (elle soppose en cela au concept strictement occidental de « développement »).
- Elle redonne de la dignité à ceux que lon qualifie de « pauvres » en rappelant la distinction nécessaire entre « pauvreté » et « misère ». Majid Rahnema nous rappelle ainsi, en sappuyant sur saint Thomas, que « la pauvreté représente le manque du superflu, alors que la misère signifie le manque du nécessaire ».
En conclusion, jaffirme que lhomme moderne, qui étouffe sous le superflu, et qui pense pouvoir changer sa condition en courant après encore plus de superflu, cet homme là que nous qualifions de « riche » a une vie misérable. Misérable car il néglige les valeurs, ses seuls repères se mesurent en euros ou en dollars, il ne peut prendre en main sa destinée car ce sont les publicitaires qui le font pour lui. Majid Rahnema nous dit en effet : « La misère morale qui déshumanise ainsi ses victimes, [nest] pas le seul fait des indigents. Elle frappe de manière peut-être plus pernicieuse encore les riches et les nantis avides de superflus. »
Au contraire, lhomme que nous qualifions de « pauvre », et quà la manière de François Brune je préfère appeler « homo frugalis », hé bien cet homme là, parce quil se contente volontairement du nécessaire, celui là est responsable. Sur notre lit de mort, lorsque nous regarderons derrière nous, la taille de notre compte en banque et létendue de nos possessions nauront plus aucune importance. Seules deux interrogations subsisteront. La première est : ne suis-je pas passé à côté de quelque chose, en courant après un modèle de réussite qui ne me correspondait pas ? Dans le roman Des jours et des nuits de Gilbert Sinoué, lIndien Yanpa nous dit ainsi : « Mourir na aucune importance. Cest la manière dont on a vécu qui compte. Dites-vous bien ceci, señor : lenfer, ce sont nos rendez-vous manqués. » La seconde pourrait être formulée ainsi : que vois-je sur le chemin que jai tracé ? Un désert qui avance, ou une terre fertile où pourront pousser de nouvelles fleurs, et les fruits qui nourriront mes enfants et petits-enfants ?
Pour résumer la simplicité volontaire consiste :
- à vivre selon ses propres aspirations en définissant ses objectifs et ses priorités,
- à se désencombrer pour se libérer du temps, de lénergie et séclaircir lesprit,
- à vivre mieux avec moins, tout en privilégiant la qualité sur la quantité,
- à relativiser laspect économique de notre vie pour lenrichir sur dautres plans,
- à retrouver de lautonomie en développant ses savoirs-faire et la confiance en soi,
- à tenter de vivre de façon socialement et écologiquement responsable.Et pour ceux qui préfèrent une définition encore plus simple, je propose cette formule qui ne plaira pas aux publicitaires et cest pour cela que je laime dailleurs : plus je suis heureux, moins je consomme, et moins je consomme, plus je suis heureux.
Stéphane Charlier, décembre 2005